UNE CROIX A SAUVER
La
paroisse de Cassuéjouls était
riche de croix. Depuis celle qui orne encore
l’ancien cimetière de Montmaton
à celle de la place du village de Cocural
– certainement la plus belle –
en passant par celle de Clapières,
du cimetière, d’Anglarès…Mais
qui se souvient que voici plusieurs années,
sur l’initiative de Monsieur Charles
Dagneau, le président de l’Amicale
de Cassuéjouls qui a précédé
notre ami Jean Viala, ont été
sauvés les vestiges d’une magnifique
croix en raquette qui à son origine
était sise dans le très ancien
cimetière qui jouxtait l’église
du village. Il avait été prévu
que par une nouvelle érection elle
soit érigée au sein de l’église
restaurée. Ces travaux terminés
nous souhaitons que cette promesse faite à
notre ancien président soit tenue.
Il serait bien regrettable que cette part
de notre héritage parte en déshérence.
Aux photographies qui nous la présentent
nous joignons un article de Monsieur Jacques
Pruvost qui en souligne toute la valeur. |
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"UNE
CROIX EN RAQUETTE SAUVEE DE L’OUBLI A CASSUEJOULS"
«
Voici quelques mois, un jour que je compulsai
les archives de la Société des lettres
de l’Aveyron, je découvris un bulletin
de l’Amicale parisienne des « Originaires
de la commune et de la paroisse de Cassuèjouls
», les Cossuéjus, fondée le
25 mars 1923 et présidée en 1966
par Monsieur Charles Dagneau. L’une des
pages faisait état de l’inventaire
des monuments locaux, parmi lesquels les vestiges
de l’ancien calvaire du vieux cimetière
que l’on disait avoir été
déposés à la cure par les
soins du président de l’Amicale.
Une photographie accompagnait cette croix.
Intéressé
par ce monument, je contactai Monsieur Dagneau
et j’appris qu’il avait trouvé
dans le cimetière, vers les années
60 cette croix mutilée et enfouie dans
les herbes, à proximité d’une
autre croix ancienne, la croix principale du cimetière
toujours en place. Conscient de sa valeur, il
l’avait récupérée avec
l’aide du maire de l’époque
(répondant également au nom de Dagneau)
et mise à l’abri à la cure.
Depuis, elle était tombée dans l’oubli
et les habitants du village ignoraient son existence.
N’avait-elle pas disparue ?
Monsieur
Charles Dagneau me promit de la rechercher avec
l’aide de l’actuel maire de la commune,
Monsieur Nayrolles. C’est ainsi que ce très
intéressant monument fut extrait des locaux
de l’ancien presbytère et pourra,
après avoir reçu quelques soins,
être présenté aux visiteurs.
(N. A. ce qui fut fait lors de la fête de
Cassuèjouls, voici dix ans. Monsieur Charles
Dagneau en connaissait parfaitement la localisation
au presbytère ; se désespérant
seulement qu’elle resta dans l’anonymat.
L’iconographie photographique en avait été
faite par Monsieur Jean Planque.)
La
croix qui nous intéresse, ainsi que celle
qui domine les tombes du nouveau cimetière,
proviennent effectivement de l’ancien cimetière
qui jouxtait l’église, comme le compte
rendu d’une visite pastorale de Mgr. Jean
d’Yze de Saléon en 1738 en fait état.
C’est à la fin du XIXème siècle
que fut transféré le vieux cimetière
à l’emplacement actuel, avec ses
deux croix, financé par une souscription
ouverte en 1889 et qui rapporta 1 305 francs (archives
de Monsieur Dagneau).
Il
s’agit d’une exceptionnelle croix
gothique en raquette que l’on pourrait dater
de la fin du XVème siècle ou du
début du XVIème siècle, taillée
dans une pierre semblable à celle provenant
des carrières de Vines, et percée
à la base d’un trou destiné
à recevoir le goujon de scellement sur
son fût (scellement qui, à l’époque,
était réalisé en plomb).
Cette croix haute de 70 cm, a 40 cm de large et
22 cm d’épaisseur ; la surface de
contact avec le fût constitue un cercle
de 23 cm de diamètre.
A
l’avers, figure le Christ qui porte un perizonium
en forme de bandeau et dont la tête est
entourée d’un nimbe polylobé.
IL est crucifié sur une croix latine en
relief, bras en V, avec trois clous, un pour chaque
main et un pour les deux pieds, le pied droit
recouvrant le gauche comme à l’ordinaire.
De part et d’autre, les larrons crucifiés
encadrent le Christ. Leur taille réduite
en fait des personnages de second plan. Ils sont
quelques peu mutilés. On remarque bien
qu’ils sont attachés à la
croix par des cordes qui apparaissent nettement
au niveau des chevilles. Cette croix est la seule
en Rouergue sur laquelle apparaît la crucifixion
des larrons. Cette seule représentation
suffirait à en faire son intérêt.
Sous les larrons, à droite du Christ, la
Vierge, la tête entourée d’un
nimbe, vraisemblablement saint Jean.
Au
revers, l’identification est moins aisée.
A l’intérieur de la raquette constituée
d’un disque de 38 cm de diamètre,
aux contours en accolade, pointes tournées
vers l’extérieur, on ne reconnaît
pas d’emblée, du fait d’une
brisure, le sujet de la scène qu’a
voulu représenter l’artiste. La présence
d’une colombe au sommet, symbole du Saint-Esprit,
qui s’apprête à descendre,
ailes déployées, pourrait permettre
plusieurs interprétations. Mais il semble
que l’on ait voulu évoquer l’Annonciation.
A gauche, tenant dans la main droite son bâton
sur lequel s’enroule une banderole, on croit
reconnaître l’archange Gabriel aux
petites ailes repliées au-dessus de la
tête. Dans la main gauche, il devait tenir
le rameau de lys qui n’est plus visible.
A droite un personnage décapité
dont il est difficile de dire s’il est assis
ou debout, devait représenter la Vierge.
Sur les tableaux représentant cette scène,
les deux personnages sont quelques fois séparés
par un lutrin, un prie-Dieu, un puits ou un vase
de fleurs (sculpture du portail de l’église
de Laguiole). Mais ici la colombe semble descendre
sur une sorte de piédestal surmonté
d’un pinacle gothique architecturé.
L’identification précise de cet élément
reste à définir. Ne serait-ce pas
l’Arche d’alliance, symbole de continuité
entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Il est à remarquer que l’église
de Laguiole toute proche abrite deux « Annonciation
» de facture assez proche, sculptées
dans un matériau semblable. On peut penser
que cette scène était à l’époque
un thème favori des sculpteurs de la région.
Sous
la raquette, un orant, mains croisées,
prie à genoux. C’est vraisemblablement
le donateur que l’on représente ainsi
pour montrer qu’il était, durant
sa vie, dans des postures de dévotion et
qu’il en sera ainsi lors de la résurrection,
quand les anges l’accueilleront au paradis.
A gauche de l’orant, apparaît un personnage
féminin décapité, paraissant
porter un vase que regarde l’orant, et à
droite un autre personnage masculin. Seraient-ils
Marie-Madeleine et Saint Antoine, ou les saints
patrons de l’orant ou de ses proches ? Il
ne semble pas que ce soit sainte Juliette et saint
Cyr, patrons de l’église, qui n’ont
fait l’objet d’aucun culte particulier.
L’identité du donateur n’est
pas connue, mais il s’agit sans doute d’un
personnage hors du commun, noble ou ecclésiastique.
On peut, en effet, rappeler que le prieuré
de Cassuèjouls fut réuni en 1318
au Chapitre de la cathédrale de Rodez par
l’évêque Pierre de Pleinecassagne.
Par ailleurs, cette terre de Cassuèjouls
faisait partie, depuis au moins le début
du XIIIème siècle, d’une baronnie
fort importante appartenant à la maison
d’Estaing dont on retrouve les armoiries
dans l’église (la croix d’Antérieux
qui a été déplacée
délimitait les zones d’impôts
des domaines du marquis de Montmaton, du châtelain
de la Boissonnade et du comte d’Estaing).
Je
me suis rendu au cimetière où la
croix avait été trouvée,
dans le but d’observer la seconde (d’un
style différent) qui y est implantée,
et il m’est apparu que le fût qui
porte cette dernière n’était
pas le sien. Il est octogonal, d’un diamètre
de 22-23 cm, nettement supérieur à
celui du croisillon Sa base carrée est
fichée dans une épaisse table qui
recouvre un petit socle bâti. Le passage
de l’octogone au carré se fait par
l’adjonction, à chacun des quatre
angles, d’une fleur de lys (les mêmes
que l’on retrouve à la base des niches
ou des piliers de l’église). Le diamètre
de la base de la croix en raquette étant
le même que celui du fût, il paraît
évident qu’à l’origine,
ils constituaient les deux éléments
du même monument. Lorsque le nouveau cimetière
fut établi et la croix principale érigée,
on lui attribua un support qui n’était
pas le sien. Je pense qu’il serait bon,
lors du dressement de la croix « retrouvée
», de lui rendre son fût initial.
Le
besoin de restituer cette croix dans son époque
amène à la rapprocher d’autres
croix similaires : |
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·
Celle d’Estaing (fin XVème, début
XVIème siècle), plus finement
ciselée dans le calcaire, dont les
contours sont également constitués
d’arcs en accolade. A la différence
de la croix de Cassuèjouls, c’est
à l’avers que sont présentées
les scènes bibliques : Mise au tombeau,
Crucifixion et Ascension symbolisées
par les pieds du Christ émergeant de
la nuée, entre deux anges aux ailes
déployées, traduisant en «
image » le passage de l’Acte des
Apôtres : « il fut élevé
pendant qu’ils (les Apôtres) le
regardaient, et la nuée le dérobe
à leurs yeux… »
· La croix en raquette de Banc, de
Saint-Étienne de Viauresque, du Piboul,
De Thérondels ou de Boussaguet (commune
de Vezins) dont le polylobe caractérise
aussi le gothique des XVème-XVIème
siècles, et qui se limitent à
la représentation classique de la Crucifixion.
Qu’il me soit permis de remercier, pour
les facilités qu’ils m’ont
accordées, mais surtout pour leur action
en faveur de la préservation du patrimoine
rouergat, Monsieur Nayrolles, maire de Cassuèjouls,
qui envisage de rétablir cette croix
dans un cadre digne d’elle, Monsieur
Dagneau, passionné par l’histoire
de son village natal et qui a su protéger
ce pieux témoignage du passé,
et Monsieur Pastissier, conseiller municipal,
fier de ce petit chef-d’œuvre qu’il
se plait à montrer. ». |
Monsieur
Jacques Pruvost
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